Terre des Chèvres
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Liens entre part d'herbe pâturée et composition du lait

Liens entre part d’herbe pâturée et composition du lait

Etude expérimentale des effets de la proportion d’herbe pâturée dans la ration et/ou son mode de gestion sur la composition des laits crus

Ce travail s’appuiera sur l’un des dispositifs expérimentaux mis en place dans le VR2. Afin de valider et d’approfondir à l’échelle de l’animal, l’influence de la proportion d’herbe ingérée au pâturage, nous travaillerons sur 50 à 60 chèvres au pâturage ingérant des quantités connues (grâce à l’utilisation de marqueurs d’ingestion au pâturage) et variables d’herbe. Différents échantillons (aliments, sang et lait) feront l’objet d’une partie des analyses citées précédemment ciblées en fonction des résultats de la tâche 3.1. Les analyses sur les aliments et le sang permettront de comprendre les déterminants de l’effet de la proportion d’herbe dans la ration sur la composition du lait.

Retrouvez l’intervention réalisée lors du séminaire final du PSDR Flèche

L’objectif de cette étude était d’identifier dans les laits des traceurs atomiques et moléculaires de l’alimentation des chèvres et/ou de mettre au point des méthodes d’authentification du régime des chèvres basées sur des analyses rapides des produits.

Matériel et Méthodes

L’étude a reposé sur un réseau de 28 exploitations agricoles réparties dans les 3 régions ex-Poitou-Charentes, Pays de la Loire et Bretagne.   Animaux, rations et prélèvements des laits

Des enquêtes en exploitations associées à des prélèvements de lait de tank ont été réalisées sur 2 périodes en 2017, printemps (avril à juin) et automne (septembre à novembre). Les enquêtes portaient sur les caractéristiques du troupeau (dont la reproduction) et l’alimentation distribuée aux chèvres laitières le jour du prélèvement de lait. Au total 56 laits ont été collectés et analysés en différents composés susceptibles de pouvoir tracer l’alimentation des animaux. L’ensemble des informations sur les caractéristiques des troupeaux enquêtés et l’alimentation qu’ils ont reçu sont présentées dans le résumé intitulé « Effet de l’herbe pâturée ou conservée sur les qualités nutritionnelle et sensorielle des laits des systèmes caprins du Grand-Ouest ».

  Analyses des composés d’intérêt

Les caroténoïdes et vitamines A et E des laits ont été analysés après extraction et purification avec des solvants organiques par chromatographie liquide ultra-haute performance et détection par barrette de diodes selon Duriot et Graulet (2012). Les vitamines B2 et B6 ont été analysées par chromatographie liquide ultra-haute performance et détection par fluorescence après hydrolyses acide puis enzymatique (Laverroux et al., soumis). Les vitamines B9 et B12 ont été quantifiées par dosage radiologique à l’aide du kit SimulTRAC B12 / Folate-S selon Duplessis et al. (2016). Les acides gras (AG) ont été analysés par chromatographie en phase gazeuse après extraction de la matière grasse des laits et transméthylation (Ferlay et al., 2013). Les composés phénoliques ont été extraits des laits par l’acétonitrile, et les composés absorbant l’UV analysés par HPLC-DAD selon une méthode adaptée de Besle et al. (2010). La couleur des laits (L, a*, b*) a été mesurée par spectrocolorimétrie appliquée sous un verre optique (5 cm de diamètre) contenant 20 mL de lait. Les enrichissements en isotopes lourds du carbone et de l’azote ont été déterminés par spectrométrie de masse des rapports isotopiques et les enrichissements en atomes lourds ont été calculés par rapport aux valeurs de référence du 13C (V-PDB : Vienna-Pee-Dee Belemnite) et du 15N de l’air.

Parallèlement à ces analyses de la composition fine des laits, la pertinence de l’analyse du lait par spectrométrie moyen infrarouge (MIR) comme méthode de discrimination du régime des chèvres a été testée. Pour cela, 44 individus statistiques pour lesquels le spectre MIR du lait de tank a pu être marié à une enquête en élevage ont été conservés (un individu statistique = un troupeau à une date donnée).

Analyse statistique

Le traitement des données a consisté à rechercher des traceurs de la présence de maïs et de la présence d’herbe verte (pâturage ou affouragement en vert) dans la ration des chèvres. Pour cela des groupes de laits correspondant à des rations comprenant ou ne comprenant pas d’ensilage de maïs ont été constitués. De même, les laits issus de rations comprenant de l’herbe verte ou n’en comprenant pas ont été identifiés. Le traitement des données a consisté ensuite à identifier les meilleurs traceurs sur la base de d’analyses de variance à un facteur (présence de maïs ou présence d’herbe). L’ingestion d’herbe verte dans les rations en comprenant (n=15) a été estimée à 38 ± 20 % de l’ingestion totale mais avec une grande disparité (de 8 à 77%). L’ingestion d’ensilage de maïs dans les rations en comprenant (n=13) a été estimée à 36 ± 8 % de l’ingestion totale (variation de 19 à 49%). Le traitement des données a ensuite consisté à rechercher les composés les laits les plus corrélés avec la proportion d’herbe (verte ou conservée) et la proportion de concentrés et de fourrages déshydratés dans la ration pour identifier les meilleurs prédicteurs potentiels. Par ailleurs, l’analyse des spectres MIR a consisté à réaliser des analyses discriminantes PLS (partial least square) afin de prédire l’appartenance de chaque individu à différentes classes regroupant les individus selon la nature du fourrage dominant (distinguant ou non la variété botanique) ou la proportion d’herbe (verte ou conservée) dans la ration.

Résultats et Discussion

Authentification basée sur la composition fine des laits Présence de Maïs dans la ration Parmi les différentes familles de molécules analysées dans les laits, les acides gras ont été les plus nombreux à varier significativement selon les groupes de laits. Les laits issus de rations comprenant de l’ensilage de maïs ont été plus riches notamment en acides gras saturés de 10 à 16 atomes de carbone et moins riches en acides gras à plus 16 atomes de carbone, comprenant les acides gras conjugués et les acides gras oméga 6 et oméga 3. Ces laits ont également été plus riches en vitamine B12 et moins riches en vitamine B6 et en lutéine. Les composés volatils désorbant contenaient moins de pentanal, de méthyl octanoate et plus de cyclohexane. Le pouvoir discriminant de ces différents composés considérés individuellement a cependant été limité et n’a pas permis de discriminer les laits issus de rations comprenant ou non de l’ensilage de maïs. C’est en revanche le rapport 13C/12C (δ¹³C (VPDB)) qui a été le plus discriminant : à deux exceptions près, la valeur seuil de -23 a permis de discriminer les laits issus de rations comprenant ou non de l’ensilage de maïs. L’enrichissement en 13C du carbone du lait varie en effet significativement selon la proportion de plantes en C3 (la plupart des graminées et légumineuses fourragères) ou C4 (maïs, sorgho, canne à sucre, mil) dans la ration.

Présence de pâturage dans la ration

Les laits issus des rations comprenant du pâturage ont été plus lipolysés et plus riches en acides gras minoritaires comme le C16:1 cis7, ISO-C18:0, C18:1 cis11, C18:2 tr11tr15, c18:2tr11cis15, C22:2n-6, C20:5n-3 et C22:6n-3. Ils ont présenté un ratio oméga 6/ oméga 3 plus faible et des teneurs plus élevées en zéaxanthine, lutéine, tocophérols (Vitamine E) et vitamines B2 et B6. Les composés volatils désorbant ont été plus riches en acide octanoïque, en 2-heptanone et 2-nonanone et en méthyl-benzène.

Le meilleur pouvoir discriminant a été observé pour le rétinol (Vitamine A) et surtout l’indice b* (coloration jaune) facilement mesurable par spectrocolorimétrie. Il n’a cependant pas été possible de fixer un seuil permettant de discriminer avec moins de 10% les rations comprenant ou non de l’herbe verte.  

Prédiction de la proportion de fourrage à base d’herbe verte ou conservée dans la ration

Les meilleures corrélations positives entre la proportion de fourrage à base d’herbe verte ou conservée dans la ration ont été obtenues pour les différentes familles d’acides gras oméga 3 (C18:3, C20:5 et C22:6). Ainsi, le ratio oméga6/oméga3 constitue un bon prédicteur de la proportion d’herbe dans la ration, au même titre que le ratio 13C/12C (δ¹³C (VPDB)) qui sont corrélés négativement à la proportion d’herbe dans la ration. Contrairement à nos hypothèses, les composés volatils désorbant des laits et les composés phénoliques ont été peu corrélés avec la proportion d’herbe dans la ration.  

Prédiction de la proportion d’aliments concentrés et de fourrages déshydratés

Les laits issus des rations les plus riches en aliments concentrés et en fourrages déshydratés ont été plus riches en acides gras C18:1 de configuration trans autres que l’acide vaccénique (C18:1tr5, C18:1tr6,8 et C18:1tr9 notamment) et moins riches en acides gras impairs (C15:0 et C17:0 notamment). La proportion d’aliments concentrés et de fourrages déshydratés a également été corrélée positivement à la somme des acides gras monoinsaturés et négativement à la teneur des laits en lutéine.  Ainsi, de façon générale, ces premiers traitements de données permettent de cibler les familles de composés les plus pertinentes pour authentifier l’alimentation des chèvres. Les ratios isotopiques du carbone et la couleur des laits semblent très pertinents pour authentifier la présence d’ensilage de maïs ou d’herbe verte dans les rations alors que acides gras présentent un intérêt pour prédire les proportions d’herbe verte ou conservée dans la ration, ainsi que les proportions d’aliments concentrés. Les traitements multicritères ultérieurs permettront d’affiner ces premiers résultats.

  Authentification basée sur des analyses rapides

La spectrométrie MIR a montré un potentiel pour la discrimination des échantillons en fonction de nature du fourrage avec un gradient d’utilisation de l’herbe dans la ration. Il semble que les rations à base de foin, et en particulier de foins de légumineuses, se distinguent mieux des autres régimes. Cependant aucune classification n’a donné de résultats satisfaisants dans la mesure où les proportions d’individus mal classés sont dans tous les cas supérieures à 30%. Les classifications ont été réalisées sur la base de la nature des fourrages, or les régimes caprins contiennent une multitude d’autres composants, ce qui complique les discriminations. De plus les effectifs sont faibles. Il conviendra ultérieurement de tester le potentiel discriminant de la spectrométrie MIR sur des effectifs plus grands et avec des types de rations plus marquées.

Rédacteurs :

  • Bruno Martin, INRAE VetAgroSup, UMR Herbivores • Bruno.Martin@inrae.fr
  • Claire Laurent, VetagroSup INRAE, UMR Herbivores
  • Benoît Graulet , INRAE VetAgroSup, UMR Herbivores –DIMA
  • Agnès Cornu, INRAE VetAgroSup, UMR Herbivores
  • Christiane L. Girard, Agriculture Agroalimentaire Canada
  • Gonzalo Cantalapiedra, INRAE
  • Céline Chantelauze, INRAE
  • Marine Gelé, Institut de l’élevage
  • Anne Ferlay, INRAE VetAgroSup, UMR Herbivores

     

Partenaires et remerciements Les auteurs remercient l’ensemble des éleveurs qui ont participé à cette étude, H. Caillat (INRAE), J. Jost et N. Bossis (Idele) et L. Lecaro (Chambre d’Agriculture de Bretagne) pour la sélection des exploitations, et M. Laurin pour la collecte des données en exploitations, J. Pourrat pour son assistance technique dans la réalisation des analyses des caroténoïdes, vitamines A, E, B2 et B6 des échantillons, et E. Tixier pour le dosage des AG des laits et I. Constant pour la détermination de la couleur des laits.