Effet de l’herbe pâturée ou conservée sur les qualités nutritionnelle et sensorielle des laits des systèmes caprins du Grand-Ouest
Retrouvez l’intervention réalisée lors du séminaire final du PSDR Flèche
L’objectif de cette étude était de caractériser les effets de l’introduction d’une plus grande part d’herbe pâturée ou conservée dans les systèmes de production caprins du Grand Ouest sur les qualités nutritionnelle et sensorielle des laits.
Matériel et Méthodes
L’étude a reposé sur un réseau de 28 exploitations agricoles sélectionnées sur différents critères : adhésion au contrôle laitier, utilisation de la reproduction saisonnée, dominance d’une race et proportion de chèvres en lactation longue inférieure à 20%, et réparties dans les 3 régions ex-Poitou-Charentes, Pays de la Loire et Bretagne.
Les données (enquêtes en exploitation et prélèvements de lait de tank) ont été collectées sur 2 périodes en 2017, printemps (avril à juin) et automne (septembre à novembre). Les enquêtes portaient sur les caractéristiques du troupeau (dont la reproduction) et l’alimentation distribuée aux chèvres laitières le jour du prélèvement de lait. Au total 56 laits ont été collectés et analysés en différents composés d’intérêt nutritionnel ou sensoriel et utilisés pour évaluer leur aptitude à la transformation fromagère.
L’objectif de l’étude étant d’analyser l’effet de la part du fourrage (dont l’herbe) dans la ration sur ces composés, des groupes alimentaires ont été constitués en fonction du fourrage majoritaire dans la ration. Les quatre groupes étaient :
Les troupeaux des exploitations comprenaient deux races : Alpine (présente dans 30 exploitations) et Saanen (présente dans 26). En moyenne sur l’ensemble de ces exploitations et sur l’année, 262 chèvres étaient traites chaque jour. Elles étaient en moyenne à leur 206ème jour de lactation et à leur 2,6ème rang de lactation. Ces chèvres produisaient en moyenne 3,1 kg de lait par jour pour une consommation de 2,8 kg de matière sèche par jour. Le groupe F était caractérisé par une forte ingestion de foin dans la ration (46 % de la MSI) et de paille (3 % de la MSI). Peu d’autres fourrages étaient ingérés par les chèvres de ce groupe. Le foin était également présent dans les autres groupes d’alimentation mais en plus faible quantité ingérée (de 16 à 20 % de la MSI). L’ingestion d’herbe conservée par voie humide caractérisait le groupe HH (29 % de la MSI). Pour les autres groupes, la quantité ingérée n’excédait pas 1%. Le groupe HV présentait des ingestions d’herbe fraîche de 44 % de la MSI.
L’herbe fraîche ingérée fluctuait entre 0 et 5 % de la MSI pour les autres groupes. Enfin, le plus fort pourcentage d’ensilage de maïs (37 % de la MSI) était observé pour le groupe EM, ce fourrage était absent ou en très faible quantité dans les autres groupes. Les proportions de concentrés et de luzerne déshydratée fluctuaient selon les groupes avec des taux plus élevés pour le groupe F, comparativement au groupe HV (49 vs 35 % de la MSI), les taux des deux autres groupes étant intermédiaires.
Les caroténoïdes et vitamines A et E des laits ont été analysés après extraction et purification avec des solvants organiques par chromatographie liquide ultra-haute performance et détection par barrette de diodes selon Duriot et Graulet (2012). Les vitamines B2 et B6 ont été analysées par chromatographie liquide ultra-haute performance et détection par fluorescence après hydrolyses acide puis enzymatique (Laverroux et al., soumis). Les vitamines B9 et B12 ont été quantifiées par dosage radiologique à l’aide du kit SimulTRAC B12 / Folate-S selon Duplessis et al. (2016). Les composés volatils ont été analysés à partir de 3 mL de lait par extraction SPME (fibre Carboxen/PDMS) à 40°C, 30 min d’équilibrage et 40 min de contact, chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (adapté de DiCagno et al., 2014). Les acides gras (AG) ont été analysés par chromatographie en phase gazeuse après extraction de la matière grasse des laits et transméthylation (Ferlay et al., 2013).
Les composés phénoliques ont été extraits des laits par l’acétonitrile, et les composés absorbant l’UV analysés par HPLC-DAD selon une méthode adaptée de Besle et al. (2010). Le profil protéique des laits a été établi par chromatographie liquide en phase inverse (RP-HPLC) couplée à la spectrométrie de masse (MS). Cette technique extrêmement résolutive (Miranda et al., 2020) permet non seulement de décomposer la fraction protéique des laits en ses 6 lactoprotéines majeures : 4 caséines (αs1, αs2, β et ), β-lactoglobuline et α-lactalbumine qui sont quantifiées sur la base du signal UV à 214 nm, mais elle permet également sur un lait de mélange de préciser son profil génétique (distribution des différents variants) pour les 6 lactoprotéines et notamment celui de la caséine s1, présentant une extrême complexité en caprin (Martin et al., 2013).
Résultats et Discussion
Le taux butyreux (en moyenne 37,7 g/kg) n’a pas été modifié par les groupes alimentaires. De même, aucune variation n’a été observée entre les groupes pour le taux protéique (33,9 g/kg), les protéines solubles (7,5 g/kg), l’urée (501 mg/L), et les caséines totales (26,4 g/kg). Les troupeaux constituant les groupes alimentaires présentaient des profils génétiques différents : des taux plus élevés en variant C de la caséine α S1 ont été observés avec les groupes F et HH (respectivement, 0,88 et 1,49%) et en variant M avec le groupe HH (0,43%) par rapport aux groupes EM et F (respectivement, 0,02 et 0,06). Les teneurs en calcium (1135 mg/kg) et phosphore (1,0 g/kg) n’ont pas été modifiées par l’alimentation, ainsi que les teneurs en germes (23827 UFC/mL) et les cellules (1,9.106 cellules/mL).
Qualité nutritionnelle
Les teneurs vitaminiques des laits dépendent fortement de l’alimentation des chèvres laitières avec notamment des différences observées entre le groupe HV et les autres groupes. L’herbe verte a produit un lait plus riche :
L’herbe verte permet une augmentation des teneurs vitaminiques des laits.
L’alimentation des chèvres laitières a influencé la composition en AG des laits, avec un fort effet de l’herbe verte comme déjà décrit dans la littérature. L’herbe verte a conduit à un lait : moins riche en AG saturés (67 % des AG totaux) que celui issu d’ensilage de maïs (70 % des AG totaux) plus riche en AG trans (5% des AG totaux) que le lait des autres groupes (3% des AG totaux en moyenne). L’herbe verte et le foin ont : produit des laits plus riches en AG polyinsaturés (5,1 % des AG totaux en moyenne), dont les AG omega 3 (0,9 % des AG totaux) et l’acide linolénique (0,7 % des AG totaux), que les laits du groupe EM (respectivement 4,1, 0,5 et 0,4%). Accru la teneur du CLA cis9trans11 (0,65 % AG totaux) par rapport à l’ensilage de maïs (0,45 % AG totaux).
De manière globale, la composition des laits en AG est améliorée par les groupes HV et F.
Qualité sensorielle
Le groupe HV a eu le plus d’influence sur le profil en composés volatils par rapport aux autres groupes, en augmentant leurs teneurs dans le lait :
L’herbe verte et le foin ont augmenté le méthyl-octanoate (respectivement, 3,7 et 3,5 log des aires) par rapport à l’ensilage de maïs (1,5 log des aires). Ces composés apportent des notes de fruit.
L’herbe humide a accru la teneur en éthyl-hexanoate (par rapport au foin, respectivement, 3,0 et 1,2 log des aires) et en pentanal (par rapport à EM, respectivement 5,3 et 5,0 log des aires).
Enfin, l’ensilage de maïs a produit des laits plus riches en cyclopentane et cyclohexane que les laits de foin (respectivement 3,6 vs 1,7 et 3,9 vs 1,0 log des aires), indicateurs d’une oxydation des AG longs insaturés.
Le lait de chèvre présente peu de composés phénoliques en comparaison avec le lait de vache. La majorité des composés présents font partie de la famille des phénols simples. Quelques laits contiennent des traces d’isoflavones.
Rédacteurs :
Partenaires et remerciements
Les auteurs remercient l’ensemble des éleveurs qui ont participé à cette étude, H. Caillat (INRAE), J. Jost et N. Bossis (Idele) et L. Lecaro (Chambre d’Agriculture de Bretagne) pour la sélection des exploitations, et M. Laurin pour la collecte des données en exploitations, J. Pourrat pour son assistance technique dans la réalisation des analyses des caroténoïdes, vitamines A, E, B2 et B6 des échantillons, et E. Tixier pour le dosage des AG des laits.
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